Les mille et un tours de l'Egaire

ou la dure vie des sabotiers

u début du siècle dernier, il y avait encore beaucoup de gens qui vivaient des ressources de la forêt et exerçaient des petits métiers : les scieurs à bûches, faisous d‘liens, gardiens d’cochons, boisseliers, ramasseurs de brindilles et de glands, charpentiers, bûcherons, tonneliers, et les sabotiers....

Tous travaillaient dur, les sabotiers surtout formaient un peuple un peu à part. Ils étaient plus d’une centaine à se retrouver à chaque saison, vivant dans la forêt, construisant au fur et à mesure de leurs besoins des huttes en bois couvertes de bruyère ou de chaume. La famille tout entière vivait dans une pièce principale, qu’on appelait la loge. Quelques billes de bois et des ballots de paille constituaient l’essentiel du mobilier de la maison. Quelquefois, un appentis était aménagé sur le côté pour la fabrication des sabots.

Le dimanche, après une semaine de dix à douze heures de travail quotidien auquel toute la famille participait, chacun était content de se retrouver dans des estaminets ou des petites auberges comme celle du père Tacot, dont un carrefour de la forêt porte encore le nom. Le père Tacot, Fauvel de son vrai nom, était le plus célèbre. C’était un sabotier qui exerçait également le métier d’aubergiste.

Ainsi donc, les sabotiers, qui se connaissaient tous, étaient heureux de se retrouver chez le père Tacot. Toute la journée, les conversations allaient bon train et dans la bonne humeur chacun se détendait et s’amusait, puis la plupart repartaient avant la nuit. Seuls, les plus imprudents restaient, ceux qui avaient un peu trop abusé de la bouteille.

Mais savez-vous pourquoi les gens de la forêt avaient si peur de rentrer à la nuit tombée?

Il y avait bien des raisons de ne pas s’attarder, car quand le crépuscule avait jeté son manteau sur la forêt, chaque bruit semblait devenir une menace, chaque chuchotement ou grincement pouvait devenir terrifiant.

Peut-être pensez-vous qu’ils avaient tous peur des loups, mais ce n’était pas cela.

Il y avait bien pire. Le pire, c’était une toute petite plante qui ressemblait à une motte d’herbe sèche et quand on y regardait de plus près on y voyait deux yeux blancs et huit petites pattes velues. C’était la redoutable herbe à l'égarement, qu’on appelait l’égaire, qui poussait à proximité des cercles féeriques. Et, voyez-vous, le jour on pouvait l’éviter, mais la nuit, et surtout avec un petit verre de trop, c’était une autre histoire...

Que vous dire de l’égaire ? Que c’est une herbe endiablée et qu’il suffit de marcher dessus pour se perdre, tourner en rond tout le restant de la nuit et refaire toujours le même trajet sans jamais rien reconnaître. Tourner, tourner et tourner encore, jusqu’à ce qu’on en devienne fou ! Et rien ne peut interrompre le maléfice, si ce n’est le lever du soleil.

Vous vous doutez bien que l’égaire fut à l’origine de bien des remue- ménage dans les foyers.

Quelle aubaine pour les jeunes filles amoureuses que de raconter qu’elles ont marché sur l’égaire, raison pour laquelle elles ne rentrent qu’au petit jour !

Mais imaginez la tête de Madame, voyant son mari rentrer tout penaud au petit matin, l’air épuisé et la moitié de ses vêtements arrachée par les nombreux branchages dans lesquels il s’était accroché en se perdant. De quoi prêter à confusion !

C’est ce qu’aime l’égaire : semer la pagaille et s’en amuser ! Elle aurait aujourd’hui disparu de nos forêts, mais il paraît qu’elle renaît de ses cendres lorsque l’on parle d’elle. Alors, soyez prudents et ayez l’œil !

 

 

 

A Fougères, l’industrie des sabots et ustensiles de bois avait une place importante dans l’économie de la région. Les sabotiers fabriquaient avec habileté de gros sabots de hêtre. Toute la famille participait.

Les anciens se chargeaient de la sélection des billes de bois, tâche délicate, car il ne fallait pas que le bois vrille. Ils les débitaient souvent sur place avec une scie hachoir. Les hommes plus jeunes prenaient le relais en débitant des bûches de la taille du sabot, puis ébauchaient sa future forme avec le paroir (couteau recourbé). C’est avec une tarière (grande vrille) que le sabotier creuse le bois ,en évitant qu’il se fende. Les femmes et les enfants se chargeaient de la finition avec les gouges et les râpes, et donnaient la touche finale en vernissant le sabot et en lui fixant une bride...

 

 

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